Par Lino Cassinat
19 avril 2023
MAJ : 20 mai 2023
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Depuis 2002, L’Auberge espagnole deCédric Klapisch n’en finit plus de faire des petits. Après une trilogie de films, la suite s’écrit désormais en série avecAliocha Schneider etMegan Northam sur le devant de l’affiche en lieu et place de leurs parents fictifs Romain Duris et Kelly Reilly. On pouvait légitimement craindre une resucée fatiguée du cinémaparisien «tranche de vie» à la Claude Sautet que tout le monde se plaît tant à détester et pourtant. Changement d’époque, changement de génération, changement de préoccupations : malgré son apparente légèreté et sans être exempte de défauts, Salade Grecque renvoie ses aînés à leurs échecs et ne fait pas dans la préciosité ridicule.
MARE NOSTRUM
Après Barcelone, Saint-Pétersbourg et New York, Cédric Klapisch nous propose de poser nos valises pendant huit heures à Athènes. Une longue escale qui n’aura cependant rien de touristique, même si son marketing bariolé et son catastrophique titre en forme de jeu de mots culinaire dont seul le cinéma français a le secret le laissaient craindre. Dès le premier épisode, et pendant la première et meilleure moitié de cette saison, Cédric Klapisch et ses scénaristes refusent l’image de carte postale, et fondent directement sur le cœur du sujet : le bouillonnement politique à l’œuvre dans la capitale, où viennent se télescoper réfugiés clandestins, jeunesse grecque désœuvrée et étudiants européens de passage.
Le fond de la mer Méditerranée, dont la Grèce est le centre géographique (et donc, de fait, névralgique), est rouge. Rouge du sang des migrants qui y meurent. Rouge de la colère politique d’une génération sacrifiée. Mais aussi rouge de la honte d’être toujours le privilégié d’un autre. On ira manger du souvlaki et voir les vieilles pierres du Parthénon plus tard semble nous dire Salade Grecque (ce nom). Elles ne risquent pas de bouger de toute façon. L’Acropole est la face émergée de l’iceberg, essayons de plonger dans les profondeurs : c’est là qu’on observe la vie.
Au milieu de la salade, un cornichon
La vie, précisément, c’est ce que semble n’avoir jamais réellement expérimenté Tom, notre personnage principal, qui ne sait pas encore qu’il ne se connaît pas et qu’il ne sait rien, pour reprendre deux formules socratiques. 26 ans, et pourtant, déjà, un adulte, un vrai. Un vieux même. Il a une start-up dans la green economy, pour sauver la planète pour de vrai. Il a un vrai couple avec une jeune businesswoman de Manhattan. Et il va aider l’humanité pour de vrai, au lieu de porter des sacs de riz comme sa petite sœur immature. Notre sosie d’Ambroise Méjean est dans le vrai, car il fait des choses importantes. Pourtant, catapulté dans le réel, dans le vrai du vrai au sens propre, quelque chose coince dans sa tête.
C’est que le réel a une capacité d’humiliation et d’accélérateur politique. Comment ne pas se sentir dérisoire à se battre pour vendre un bâtiment, expulser les personnes en danger de mort, les victimes d’attaques fascistes, les étudiants en galère qui squattent son bien (dont il a hérité par hasard, en plus) ? Pendant quatre épisodes, Salade Grecque garde le sourire, mais pose de nombreuses cruelles questions. De quoi faire exploser bien des cerveaux. Celui de notre jeune Elon Musk, mais aussi celui des spectateurs, renvoyés au même confort de pensée, puis à la même révélation : et si je n’étais pas le personnage principal de ma propre existence ?
On sait que c’est dur, mais faites abstraction du marketing
Mer vineuse
On est toujours le privilégié de quelqu’un, mais Tom se retrouve dans la situation où il n’est plus le galérien de personne. Mécanisme typique de toute comédie morale depuis au moins Molière, mais qui fonctionne à merveille ici, puisque Tom (et, au demeurant, ses camarades) s’accomplissent non pas dans les atermoiements, mais dans l’action. Ces actions, ce sont celles que les nécessités de l’intrigue imposent au travers de nombreuses péripéties bien senties, comme des exorcismes en réponse aux fantômes qui hantent les esprits des personnages. En résulte une série extrêmement diverse et riche… jusqu’à l’emballement.
Salade Grecque a, en effet, les yeux plus gros que le ventre, et là où chaque thème soulevé aurait pu produire son propre long-métrage dédié, la nature sérielle du récit l’oblige à s’éparpiller, à avancer par à-coups, ou à s’appuyer sur des facilités scénaristiques. La première d’entre elles étant l’artificialité des quiproquos, qui reposent toujours sur des erreurs de communication : on ne compte plus les révélations interrompues parce qu’untel est trop pressé, est coupé par un appel, ne veut pas parler d’un élément absolument capital parce qu’émotionnellement ce n’est pas le moment, ou veut rester seul (sans doute la réplique la plus prononcée dans toute la série au point d’en être un gag).
Interruption par un coup de fil inopiné dans 3… 2… 1…
Ce n’est pas trop gênant pendant une première moitié riche en réflexion, mais cela devient plus rageant lorsque Salade Grecque perd son cap, à force d’avoir installé thème sur thème, personnage sur personnage, sujet sur sujet. Soudainement, il y a trop de choses à régler et pas assez de temps pour tout faire, même en huit heures, et certains points magistralement introduits se retrouvent oubliés au bord du chemin, ou résolus à grands coups de clichés décevants. D’autant plus que la plupart d’entre eux nécessitent par leur nature même d’être un tant soit peu sourcilleux (la fin de l’arc MeToo du récit risque de faire grincer des dents).
Formellement, cela provoque également quelques effets de juxtapositions délétères dans le montage, qui provoque quelques moments de dissonance tonale dont la violence inouïe ne serait même pas venue à l’esprit d’un Ruben Östlund. Comment se retrouve-t-on à enchaîner une sinistre scène de viol avec la séquence générique et sa musique joyeuse à la Super Mario ? Comment est-il possible de réduire un personnage aux propos crypto-fascistes à son caractère autoritaire dans la colocation ? Pourquoi la mort d’un personnage clef est expédiée en une coupe avant d’embrayer sur la préparation de ses funérailles, sans même lui accorder un temps de pause dramatique ?
Tom-Tom et Mia-Mia
CAPRI, C’EST FINI
La réponse est simple : le montage n’a pas le temps de tout faire. Elles sont toutes passionnantes, mais il y a néanmoins trop d’annexes ouvertes, et Salade Grecque aurait dû renoncer à certaines d’entre elles, et en particulier, à celles consacrées à la vie interne de ses personnages. C’est surtout vrai dans la deuxième moitié, mais lorsque les romances de la douzaine de personnages qui nous sont proposés prennent le pas sur la résolution des problèmes matériels de leurs conditions d’existence, le spectateur perd le fil en même temps que la série.
C’est particulièrement vrai pour Tom. Notre personnage principal dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est un petit con se verra offrir la rédemption grâce non pas à une, ni deux, mais bien TROIS histoires d’amours impossibles. Cela fait beaucoup, au point d’en devenir un certain point de contradiction avec l’esprit même de Salade Grecque, qui ne peut pas s’empêcher de s’appuyer sur ces bons vieux ressorts que sont l’amour, la sexualité et les personnages féminins pour héroïser notre personnage principal. Certains clichés sexistes ne veulent vraiment pas mourir.
C’est pas du Gregg Araki mais on s’en contentera
Pour autant, en creux, toutes ces digressions sentimentales dévoilent un dernier élément constitutif de Salade Grecque qui tend à inspirer une certaine souplesse en ce qui nous concerne. Ce n’est pas forcément d’une clarté limpide dans un premier temps, et l’héritage de la trilogie précédente qui s’adressait à de jeunes adultes brouille également légèrement les pistes, mais il ressort au bout de quelques heures que Salade Grecque est en fait un teenage drama assez dur plutôt qu’une comédie dramatique. On nous dira que la nuance est légère, on répondra cependant que les codes et l’exigence de réalisme ne sont pourtant pas exactement les mêmes.
Fort de cela, les aspirations romanesques de Salade Grecque émergent sous un jour plus clément. Certes, il y a une part de mièvrerie, de naïveté à la Cœur Océan ou Hartley, cœurs à vifs, qui provoquent des déséquilibres dans la deuxième moitié et donnent un côté hors-sol à Salade Grecque (sans parler de quelques effets de style gênants comme l’apparition régulière de philosophes antiques). Et en même temps, c’est lorsque l’énergie de la série parvient à se mélange avec sa composante réaliste plus dure qu’elle touche le plus, sa faiblesse devenant sa force, son narcissisme nourrissant une forme de noblesse d’âme. Comme un fantasme de jeunesse finalement.
Salade Grecque est disponible en intégralité depuis le 14 avril 2023 en France sur Amazon Prime Video
Rédacteurs :
Lino Cassinat
Résumé
Il y a bien des reproches à faire à Salade Grecque, mais si c'est le genre de série qui permet à un public jeune de questionner autant que fantasmer son futur dans un monde en déréliction, honnêtement, on s'en sort à bon compte.
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Myst
il y a 1 année
Encore une serie qui me confirme que le jeu d’acteurs en français sonne faux… mention special a Tom et a son père, ou chaque repliques semblent récités sans conviction.
Lo
il y a 1 année
Ce n’ est pas un reportage mais une fiction !! Et elle est très très réussie
LaSteph
il y a 1 année
Alors personnellement j’ai adoré la trilogie. Et je me faisais une joie de découvrir la série. Je suis de la génération de Xavier et j’ai un fils et une fille… Je n’ai pas été déçue. Elle est le reflet des contrastes de la jeunesse actuelle et du monde dans lequel nous évoluons.
r
il y a 1 année
vraiment bien aimé
salade avariée
il y a 1 année
il n’ ya plus beaucoup de vrais grecs en Grece, donc c’est tout sauf une salade Grecque,
Fix
il y a 1 année
La série plaira aux nostalgiques de l’auberge espagnole, la série garde cette même atmosphère, c’était un plaisir
Florent
il y a 1 année
Critique totalement raccord avec l’impression que j’en ai eue.
Une première moitié captivante, remettant un coup d’actualité (et de gravité) sur les thématiques européennes des premiers films ainsi qu’un coup de jeune sur les personnages, deuxième partie qui se perd dans beaucoup trop de thématiques sociales actuelles (comme s’il fallait cocher toutes les cases de l’intersectionnalité) sans rentrer en profondeur en expédiant ses sujets / personnages. La dernière histoire d’amour est de trop, et on ne peut s’empêcher de se dire «oh non….vraiment…»
Le personnage de Mia, la soeur, est parfois agaçant mais, à juste titre je trouve : une jeune femme militante issue d’un milieu bourgeois, avec tout ce que ses idéaux peuvent avoir de noble et de contradictoires à la fois, ce qui permet de ne pas caricaturer son frère à l’excès (fraichement sorti d’école de commerce, ambiance startup, surfant sur l’écologie pour monter sa boîte).
En résumé, intéréssant dénouement / actualisation de la trilogie cinématographique, qui aurait mérité de rester plus focus sur les intrigues et thématiques abordées dans sa première partie.
@tlantis
il y a 1 année
Autant les 2premiers films sont bon et une fraîcheur même si des défauts , le 3eme est pas bon ( j’ai l’impression que le réal l’aime pas non plus )
Et la série est vraiement énervante , casting foirer , alchimie des personnages inexistante , la soeur pendant la première parti énerve et joue mal .
Une grosse déception qui ne retrouve pas la fougue et l’énergie des deux premiers films
C.Kalanda
il y a 1 année
Bel article et belle conclusion. J’ai même appris un mot. J’hésitais a la regarder, fleurant l’opportunisme, mais je vais me laisser tenter.
Jojo
il y a 1 année
Une jolie série sur la jeunesse européenne. J’ai retrouvé l’esprit de l’Auberge Espagnole !