Après "L’Auberge espagnole", "Les Poupées russes", et "Casse-tête chinois", Klapisch parachève sur petit écran ce récit roi des fictions chorales commencé en 2002, un feuilleton qui vieillit au même rythme que ses personnages, un feuilleton qui vieillit aussi tout court, c’est un peu le problème.
Un objet culturel passé au crible d’une critique libre et assumée. Aujourd’hui, Lucile Commeaux nous parle de Salade grecque, une série créée par Cédric Klapisch, diffusée dès aujourd’hui sur Prime Video.
Alors souvenez-vous, le héros deL’Auberge espagnolec’était Xavier, la vingtaine, aspirant écrivain, propulsé dans l’aventure de sa génération: Erasmus. A Barcelone il se mettait en coloc' dans un appartement coloré où on parlait toutes les langues ou presque, où on mangeait les plats des uns et des autres, échangeait ses histoires, s'engueulait et tombait amoureux. A l’heure de laSalade grecqueXavier - c’est toujours Romain Duris - a vingt ans de plus, et deux enfants, Tom et Mia qui sont à leur tour étudiants, ou presque. Lui est un jeune homme très sérieux qui s’est lancé avec sa petite amie américaine dans un projet de startup verte; elle a arrêté ses études pour faire du bénévolat dans une association d’aide aux migrants. Ils vivent à tout point de vue loin l’un de l’autre, jusqu’à ce que la mort de leur grand-père les rassemble à Athènes: ils ont hérité d’un immeuble, au cœur de la plus vieille cité d’Europe.
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59 min
Alors c’est très malin de la part de Klapisch de placer l’action en Grèce, berceau de la civilisation européenne, mais aussi carrefour des tensions qui secouent l’Europe, une Europe qui n’est plus celle de l’utopie Erasmus, mais de clivages multiples entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Dans l’immeuble-monde qui devient le point de convergence de la série, viennent à se côtoyer de jeunes étudiants privilégiés multilingues et des migrants en détresse sous l’égide du personnage de Mia, jeune révoltée qui renie ses origines bourgeoises tout en en bénéficiant en permanence, et qui insiste pour que l’immeuble serve de refuge alors que son frère voudrait vendre au plus vite pour accélérer ses propres projets. Autour d’eux se profile plus que ne se dessine vraiment une galerie de personnages à l’intérêt franchement inégal: un Italien rigolo, une Tchèque qui est cam girl pour se faire des sous, un Russe taiseux mais au grand cœur, un jeune Français trans qui a fui sa famille, une jeune Syrienne pugnace etc. etc.
OK boomer
L'objet est à la fois décevant et assez maladroit comme objet. Ce qu’on aime retrouver dansSalade grecquece sont les vieux personnages et acteurs, réunis dans un épisode français autour d’un dîner de Noël qui est clairement le meilleur moment de la série, et puis quelques effets de mise en scène qui sont la pâte Klapisch: les écrans scindés, la voix off, un ou deux effets comiques comme l’apparition au personnage principal des grands de la philosophie grecque antique, mais globalement tout ça manque de grâce et de légèreté. On sent Klapsich tout à la préoccupation de ne surtout rien oublier des enjeux supposés de la nouvelle génération, donc chaque épisode déborde de motifs sociétaux posés là probablement pour anticiper toute culpabilité et tout reproche, c’est le cas notamment des rapports de sexe et de genre, ultra typés, totalement hiératiques dans leur souci de représentativité - gay, trans, lesbienne, abusifs, fluides, transclasse et transrace etc. - un truc pas digéré par la mise en scène qui parasite totalement la combinatoire amoureuse, or cette dynamique était au cœur de ce qu’on aimait dans les précédents opus. Cette volonté de bien faire sans doute se retourne même contre la série, dans un rapport par exemple totalement aberrant, car non motivé dans la forme, entre Tom, le bourgeois franco-américain qui est dans lafintech, et Reem, une jeune syrienne qui cherche sa mère potentiellement disparue sur une embarcation au large des îles grecques. Au-delà même de ce motif singulier, je me suis demandée s’il n’y avait pas une forme de cynisme impensé dans la narration globale, qui consiste à passer d’une colocation Erasmus entre des bourgeois blancs à Barcelone à un squat de migrants à Athènes, en les filmant de la même manière, avec la même musique un peuworlden fond et cet optimisme humaniste que la réalité de l’histoire européenne a depuis 2002 largement entamé.L’Auberge espagnoleproposait un miroir ludique et lumineux à une génération privilégiée qui s’y sentait bien et confortable. Je doute que ce soit le cas deSalade grecque, devant laquelle aucun vingtenaire ne se reconnaîtra vraiment, et qui sans doute servira davantage à rassurer leurs parentsdont les relais à l'image - les personnages historiques de la série - sont clairement les plus vivants et les plus intéressants. De ce point de vue Klapisch signe un vrai objet générationnel: une série pour les vieux. Transcription de la chronique radio de Lucile Commeaux
- Plus d’informations: Salade grecque, une série créée par Cédric Klapisch, diffusée à partir du 14 avril 2023 sur Prime Video